Comment expliquer une telle biodiversité en forêt tropicale?
- passagers-sciences
- 28 nov.
- 4 min de lecture
Aujourd'hui, nous répondons à la question posée par des élèves de 3ème:
Bonjour, Nous sommes des élèves du collège Guy de Maupassant de Saint Martin de May et nous avons plusieurs questions à poser aux spécialistes, si possible : Quelles sont les conditions qui permettent à la faune d’être plus importante en forêt tropicale de Guyane qu’en forêt tempérée de Métropole ?

C’est un constat fait depuis longtemps, le nombre d’espèces présentes en forêt tropicale est beaucoup plus importante que dans une forêt tempérée. Dit autrement, la biodiversité est plus riche en forêt tropicale qu’en forêt tempérée.
Pour vous rendre compte, nous avons fait une infographie comparant les nombres d’espèces en Guyane et en métropole pour quelques groupes (arbres, insectes, mammifères…) : Vous pouvez la télécharger ici.
La question posée par les élèves de 3ème du collège Guy de Maupassant de Saint Martin de May est particulièrement pertinente… Et difficile car il n’y a pas d’explications simples. Les écologues ont fait des hypothèses mais ces suppositions restent difficiles à vérifier.
Ceci étant dit, nous avons posé la question à deux connaisseurs de la forêt tropicale, Ariel Brunner qui travaille pour Birdlife international et Jeff Mauffrey qui est maître de conférence en écologie à l’université de Marseille.

Pour la petite histoire, ils sont tous les deux des amis de Francine et ils ont séjourné à la station de recherche des Nouragues pendant leurs études… ce qui a donné envie à Francine d’y aller un jour. Il a fallu attendre de nombreuses années, ce rêve est resté dans un coin de la tête. Et puis, l’idée de faire un projet Passagers des sciences en Guyane et aux Nouragues s’est concrétisé !
Maintenant, revenons à la question des élèves. Quelles sont les hypothèses expliquant cette différence de richesse en espèces? Donnons la parole à Jeff:
« C'est effectivement une question complexe.
- Tout d’abord, le climat est favorable à la survie en général (température constante, humidité constante) et ce depuis longtemps. "Longtemps", ici, c'est des centaines de milliers d’années. Des espèces ont pu évoluer et se spécialiser dans différents habitats et sur différentes ressources. Ainsi, au cours du temps, le nombre d’espèces a pu augmenter plus que sous le climat tempéré.
Ariel complète : la stabilité du climat dans l’année permet beaucoup plus de spécialisation. Les spécialisations extrêmes qu’on voit pour les espèces de la forêt tropicale sont souvent impossible si en hiver l’habitat est radicalement différent (ou s’il faut migrer dans un autre habitat).
Et puis, sous les latitudes moyennes, comme l’Europe, les périodes glaciaires ont profondément impacté la biodiversité en la réduisant. A certaines périodes, les glaciers ont recouvert presque toutes les terres, repoussant les êtres vivants vers des régions moins hostiles. Les zones tropicales n’ont pas subi ces transformations majeures, le nombre d’espèces a pu croitre au cours des millénaires sans jamais diminuer.

- Chaque espèce notamment végétale est capable de croitre sans contrainte notamment du fait d'une grande quantité d'eau disponible.
Ariel complète : C’est ce qu’on appelle la productivité primaire d’un écosystème, la quantité de matière produite par les plantes est à la base de toute la chaîne alimentaire. Si elle est élevée, c’est comme lorsqu’il y a plus de gâteau, plus d’organismes peuvent le partager.

- En conséquence, les arbres notamment peuvent atteindre 60 mètres de haut (contre une trentaine en climat tempéré) : les conditions du sol à la canopée sont très différentes, ce sont autant d’habitats sur lesquelles les espèces peuvent se spécialiser.
La forêt tropicale est un "biovolume" à 3 dimensions très haut (plus que les forêts tempérées) ce qui génère de très nombreux habitats disponibles.
- Cependant, une espèce donnée a aussi de nombreux parasites ou prédateurs. Aucune espèce ne peut fortement augmenter en nombre d'individus et devenir dominante au détriment d’autres espèces. Toutes sont affectées par des parasites ou consommateurs spécifiques. Ainsi, chacun des parasites maintient un niveau de population bas de son hôte ce qui autorise la coexistence de nombreuses espèces... Par exemple, en forêt tropicale guyanaise, sur un hectare de forêt on peut atteindre 200 espèces d’arbres avec peu d’individus de chaque espèce : forte diversité et faibles abondances.

- A l’échelle de toute l’Amazonie, au cours de sa longue histoire, la forêt a tout de même connu ces 20 derniers millions d'années des variations de niveau de mer et des variations climatiques locales qui ont isolé des régions les unes des autres… Chacune de ces régions a vu des espèces distinctes apparaître. Ainsi, le bloc forestier amazonien qu’on imagine homogène est constitué de régions distinctes, chacune étant des lieux d’évolution de nouvelles espèces. Par exemple, la région de la Guyane, qu’on appelle le plateau des Guyanes, a des espèces qu’on ne rencontre pas ailleurs en Amazonie. »
Voilà pour cette longue réponse à une question passionnante. On espère que c’est assez clair !
Dans un prochain post nous répondrons à une autre question des élèves de 3ème du collège Guy de Maupassant de Saint Martin de May: Comment faites-vous pour quantifier le nombre d’espèces dans la forêt?
A suivre...




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